Projet labellisé dans le cadre de l'appel à projets "incubation interdisciplinaire"
Résumé
Le projet porte sur une zone périurbaine, à la périphérie de la ville antique de Dougga, en Tunisie. Une zone de 2,5 hectares environ a vu se succéder et parfois coexister différentes activités : elle a accueilli des nécropoles dont les structures s’étendent sur plusieurs siècles ; elle a été le lieu de l’extraction de pierre, à une échelle considérable et pendant au moins deux siècles et demi ; enfin, sur des terrains profondément remodelés par cette activité artisanale, se sont installés les gradins d’un cirque dont l’histoire est bien connue grâce à une série d’inscriptions. Nous entendons démêler ces différentes activités, comprendre comment et au prix de quels compromis et aménagements, des fonctions aussi variées ont pu voisiner, déterminer si l’aménagement du cirque a mis un terme aux activités artisanales ou si, comme nous le pensons, il les a conduites à s’adapter.
L’approche n’implique pas une étude séparée et distincte des types d’activités, mais bien une approche globale, tenant compte des aspects matériels, juridiques et symboliques de cette coexistence. C’est en cela que le projet peut prétendre à une certaine originalité : les carrières antiques sont habituellement des sites dont toute activité non liée à l’extraction et à la mise en forme de la pierre est exclue, pour des raisons évidentes.
À cette enquête archéologique et historique, nous ajoutons une dimension ethnologique, avec l’étude des pratiques pastorales qui se déroulent toujours sur le site.
The project deals with a peri-urban area on the outskirts of the ancient town of Dougga in Tunisia. This area of around 2.5 hectares has seen a succession of different activities, some of them coexisting: it has been the site of necropolises whose structures span several centuries; it has been the site of stone quarrying, on a considerable scale and for at least two and a half centuries; and finally, on ground that has been extensively remodelled by this artisanal activity, the tiers of a circus have been installed, the history of which is well known thanks to a series of inscriptions. Our aim is to disentangle these different activities, to understand how and at what cost such varied functions were able to coexist, and to determine whether the development of the circus put an end to artisanal activities or whether, as we believe, it led them to adapt.
The approach does not involve a separate and distinct study of the types of activity, but rather a global approach, taking into account the material, legal and symbolic aspects of this coexistence.This is where the project can lay claim to a certain originality: ancient quarries are usually sites from which, for obvious reasons, any activity unrelated to the extraction and shaping of stone is excluded.
To this archaeological and historical investigation, we are adding an ethnological dimension, with a study of the pastoral practices that still take place on the site.
Philippe Pesteil Ethnologue CRBC UBO | Chloé Damay Doctorante en histoire de l’Art CREAAH, UMR 6566 UR2 | Théo Ben Makhad Cartographe et topographe Service de l’Inventaire du Patrimoine, Pays de la Loire |
François Fournier Géologue CEREGE Aix-Marseille université | Philippe Bromblet Ingénieur, géologue – Sciences de la terre CICRP, Marseille | Haythem Abidi Conservateur conseiller – Archéologie Institut national du Patrimoine (Tunis) |
Deux missions de terrain ont été organisées, en mai et novembre 2024.
Elles ont permis aux géologues, François Fournier et Philippe Bromblet, d’étudier les lithofaciès calcaires de l’Éocène inférieur. L’objectif était de caractériser ces lithofaciès d’un point de vue pétrographique et géochimique, tout en précisant leur répartition spatiale. Les travaux ont inclus le levé de cinq logs stratigraphiques et le prélèvement de 98 échantillons de calcaire. Une cartographie de cinq unités lithostratigraphiques principales a été effectuée, ainsi qu’une analyse pétrographique des monuments et sculptures pour attribuer leurs matériaux aux lithofaciès identifiés. L’étude a permis d’identifier 11 lithofaciès distincts et de subdiviser la série sédimentaire en six unités lithostratigraphiques. Parmi ces lithofaciès, six ont été utilisés dans la construction des monuments antiques de Dougga et la sculpture. A moyen terme, ces travaux permettront d’identifier et de comprendre les stratégies d’utilisation des matériaux en fonction des usages précis.
Les archéologues de l’équipe ont procédé au relevé et à la cartographie, aussi systématiques que possible, des traces liées à l’extraction, sur l’affleurement qui jouxte le cirque. L’entreprise a donné lieu à l’établissement d’un SIG. Le dialogue conduit avec les géologues permet de mieux comprendre le rapport entre zones exploitées et nature des bancs.
Les structures archéologiques conservées sur l’affleurement – tombes préromaines et romaines – fournissent des repères chronologiques qui encadrent l’exploitation de certains secteurs. Leur analyse, associée à celle des indices d’extraction, devrait permettre de proposer au moins une chronologie relative.
Les vestiges du cirque romain, plus importants et mieux conservés que nous le craignions, ont été relevés ont fait l’objet d’observations précises, jusqu’ici non disponibles dans la littérature archéologique. Nous comprenons mieux désormais les rapports qu’entretenaient le monument et l’affleurement. Contrairement à ce que nous pensions au départ, sa construction n’a sans doute pas empêché l’exploitation des bancs de pierre, mais elle a en revanche complètement interdit l’évacuation des blocs par les voies auparavant utilisées, barrées par les structures du cirque, et a contraint à en emprunter une autre, une rampe située au nord.
Parallèlement à ces observations sur l’affleurement, une enquête a été conduite sur les monuments antiques pour y rechercher des traces liées à l’extraction sur des blocs mis en œuvre : il s’agit d’établir des comparaisons avec les traces relevées sur les carrières et d’obtenir ainsi des repères chronologiques. L’enquête a été fructueuse, puisque trois monuments fermement datés ont livré des traces précises.
Ces travaux ont fait l’objet d’une première note dans la deuxième livraison du Bulletin d’archéologie maghrébine.
Philippe Bromblet et François Fournier examinent les pierres de taille du « mausolée nord », un tombeau d’époque numide (cliché Chloé Damay)
Un troupeau au sommet d’un front de taille de la carrière (cliché Yvan Maligorne)